Que sait-on véritablement des anciens dieux nordiques? La question de la fiabilité de nos sources composées deux ou trois siècles après la conversion au christianisme, rend complexe la distinction entre traditions locales authentiques et culture chrétienne.
Qu'est qu'un panthéon? Et au delà, qu'est ce qu'une mythologie? Au sens strict, et dans son usage initial, en grec ancien, le mot pan-theion désigne un temple dédié à l'ensemble des dieux d'une religion polythéiste. Quant au mot mythologie déjà en usage dans l'antiquité, il désigne à la fois un récit qui relève de la fable et le discours portant sur ce récit. Il forme ainsi une sorte d'oxymore dans lequel le mythe côtoie le logos, le discours rationnel auquel, en principe, il s'oppose...
Nous sommes en outre confronté à deux mots qui recouvrent un savoir qu'il est impossible de constituer véritablement dans la mesure ou, contrairement au religions du livre qui s'appuient sur des corpus de textes fixés par la traditions, les religions polythéiste sont caractérisées par un vaste répertoire de récits mythiques et par une galerie de figures divines qui varient dans le temps, dans l'espace et selon les milieux sociaux. A cet égard , le monde grec ancien nous montre l'immense possibilité de reformulation des mythes.
Hélas, lorsqu'il s'agit du domaine nordique préchrétien, notre documentation est bien plus limitée pour une raison que nous connaissons: les traditions n'ont pu être mises par écrits qu'après la conversion au christianisme (entre la dernière moitié du Xe siècle et la première partie du XIe siècle), et donc, à partir du moment ou, au terme d'une lente maturation, des érudits ont été capables de composer, dans leur propre langue surtout, mais également en latin, des chroniques historiques, des sagas et d'autres textes, entre le XIIe et le XIVe siècle. Nous disposons de deux sources principales pour tenter d'appréhender l'ancienne mythologie.
La matière nordique
La première est due à un chef islandais, Snorri Sturluson, qui était à la fois, poète, juriste et historien et qui composa dans les années 1220 une sorte de traité d'art poétique appelé Edda. La poésie traditionnelle reposant volontiers sur des références mythiques, l'auteur s'est appliqué, dans la première partie de l'ouvrage, a composer une véritable mythologie, allant des origines du monde jusqu'à sa destruction, le fameux Ragnarok.. Notre seconde source est un ensemble de poèmes, certains mythologiques, d'autres héroïques, préservés dans un manuscrit du XIIIe siècle, le codex regius, que la tradition a également baptisé Edda
Le caractère fragmentaire de cette documentation exclut toute ambition de reconstituer une image complète et cohérente des représentations préchrétienne. En outre, ces sources émanent de milieux chrétiens, et parfois ecclésiastiques, qui ont écrit plus de deux siècles après que la conversion avait rendu des traditions, désormais qualifiées de païennes, obsolètes et même prohibées. On pourrait comparer cette situation à un jeu de puzzle dont une partie des pièces manqueraient tandis que d'autres, aux formes altérées et aux couleurs passées, seraient difficiles à placer, interdisant de restituer l'illustration figurant sur la boite qui, de toute façon, a été perdue... Heureusement nous pouvons comparer nos informations (rares) à celles que nous ont transmises les autres domaines germaniques et aux mythes qui ont été préservés dans différents domaines du monde Indo-Européen.
Le dieu Tyr
Prenons l'exemple du dieu Tyr. Il est parfois mentionné dans l'Edda poétique mais aucun poème ne lui est consacré. Quant à Snorri Sturluson, il lui attribue différentes qualités, comme la sagesse et la vaillance, et il affirme qu'il a le pouvoir d'attribuer la victoire au combat (ce qui est également l'une des fonctions d'Odin) mais ne relate qu'un seul mythe le concernant, celui de la neutralisation du loup Fenrir, dont les dieux savent qu'il sera l'un des protagonistes de la destruction du monde. Or l'étymologie de son nom nous laisse entrevoir une figure à l'origine bien plus importante.
Tyr, dont le pluriel (Tivar) est un nom collectif désignant "les dieux", remonte à une racine qui a fourni, dans de nombreuses familles de langues indo-européennes, le nom du "jour" ou du "ciel diurne" et celui d'une divinité liée à ce ciel diurne: Ju-piter, Zeus (en latin, également deus, d'où notre "dieu"). Le fait que dans les langues germaniques, le nom du mardi, le "jour de mars", en latin Martis dies, ait été traduit par le jour de Tyr (c.f anglais tuesday) semble confirmer la fonction martiale mise en avant par Snorri Sturluson. Ainsi ce que nous pouvons entrevoir de la "préhistoire" de ce dieu (qui était, en outre, peut être lié à la justice)ne correspond qu'imparfaitement à ce que nous en disent nos sources tardives.
Des fonctions floues
Dans son Edda, Snorri Sturluson énumère une quinzaine de dieux qualifiés d'Ases, ainsi qu'une vingtaine de déesse. Mais à propos de certains, qu'il ne fait que citer, il avait probablement peu de choses a raconter...Que dire en effet de Hoenir, sinon que, selon une tradition poétique, il faisait partie d'une triade de dieux qui créèrent le premier couple humain ou que, lors d'une guerre qui opposa jadis les deux grandes catégories de dieux, les Ases et les Vanes. il fut envoyé par les premiers aux seconds en guise d'otage? Que sait-on encore d'Ull, sorte de précurseur du biathlon, puisqu'il se déplace à ski armé de son arc? Le fait que son nom entre dans un certains nombre de toponymes en Suède et en Norvège laisse supposer qu'il fut, en un temps reculé, et oublié lorsque nos sources ont été rédigées, une divinité qui faisait l'objet d'un culte. c'est pourquoi, si l'on parle en terme de "mythologie" ou de "panthéon" nordiques, il faut garder à l'esprit toutes les réserves que l'on peut exprimer à l'égard de ces mots.